lundi 12 mai 2008

Deux Français rescapés du cyclone Nargis : récit

Thierry et Alain visitaient le Rocher d'Or, lieu de pèlerinage mythique situé dans le sud-est de la Birmanie, lorsque le cyclone Nargis c'est abattu sur eux, leur guide et leur chauffeur. Miraculeusement sortis indemnes du cyclone, c'est avec émotion et profonde compassion pour les victimes qu'ils nous livrent leur récit.






Les rescapés de Nargis


Nous avons un peu tardé à écrire ce message, mais nous sommes encore un peu sous le choc et les moments tragiques que nous avons vécu non loin de Rangoon au moment du passage du cyclone sont encore très présents et il est très difficile de s'exprimer sur le sujet.
Nous connaissons Hervé et toute son équipe depuis 2007, nous avons fait avec 5 amis un voyage inoubliable en octobre dernier dans «le plus beau pays du monde». Notre seul désir à Alain et moi était d'y retourner le plus vite possible afin d'explorer le sud de ce pays magique.

"Le cyclone progressait vers nous.
Il venait déjà de frapper le golfe et Rangoon,
et nous n’avions encore aucune idée de ce qui nous attendait…"
Nous étions donc avec Min (notre guide birman francophone de l'équipe Gulliver) , accompagné de Milsang (notre chauffeur) depuis le 30 avril à visiter le sud de la Birmanie. Nous sommes descendus jusqu'à Mawlamyaing, frontière de l'état Karen et allions de surprises en étonnements. Notre plaisir grandissait chaque jour tellement les lieux visités nous enchantaient. La météo n'était déjà pas avec nous mais nous avons très vite oublié cette pluie qui devenait incessante... La "tempête" annoncée ne devait durer que quelques jours et nous avions bon espoir que notre fin de séjour prévue à Ngwe Saung (en front de mer dans le golfe de l'Irrawady) dès le dimanche 4 mai pour 3 jours se termine sous le soleil....
"Notre chambre pourtant isolée était inondée, les portes intérieures de l’hôtel claquaient de toute part..."
Le vendredi 2 mai en milieu d'après midi, un des derniers sites que nous devions visiter avant notre retour à Rangoon était le fameux lieu de pèlerinage tant vénéré par les Birmans, Le Kyaik-Hti-Yo (Le rocher d'Or) situé au sommet d'une montagne. L'accès au site se fait en 2 étapes, une première de 45 minutes en camion (seuls ces engins peuvent franchir les 38 cols annoncés), et la seconde à pied (1 heure de montée environ).
Il va sans dire que la 2ème étape à pied a déjà été un vrai calvaire, la météo se faisant de plus en plus menaçante. Des trombes d'eau nous tombaient sur la tête rendant la montée et l'accès au site encore plus difficiles. Pas mécontents d'arriver à notre hôtel situé à 200 m du rocher, nous avons quand même bravé la pluie pour pouvoir apercevoir le rocher en espérant que la tempête cesserait pendant la nuit et que dès notre réveil prévu à 6h00 le lendemain matin, nous pourrions enfin profiter du site.

Mais la tempête a fait rage toute la nuit. Le cyclone progressait vers nous. Il venait déjà de frapper le golfe et Rangoon, et nous n’avions encore aucune idée de ce qui nous attendait… Le réveil à 6h00 du matin fut assez pénible. Notre chambre pourtant isolée était inondée, les portes intérieures de l’hôtel claquaient de toute part, les trappes se soulevaient, les murs menaçaient… Dehors, en plus de la pluie qui n’avait cessée, des violentes bourrasques de vent l’accompagnaient !
"Notre attente ne faisait que commencer
et très vite le toit de notre cabane qui abritait de plus en plus de monde,
menaçait à plusieurs reprises de s’effondrer…"
Nous avons donc pris notre courage à deux mains et sommes sortis de l’hôtel pour essayer de rejoindre la plate-forme des camions au plus vite pour essayer de rejoindre le village et rentrer sur Rangoon. La descente a été très difficile, la route glissante, nous marchions parfois dans des torrents de pluie, et le vent soufflait de plus en plus fort. Environ 1h00 plus tard nous avons rejoint la plate-forme des camions et sommes allés nous réfugier sous un abri de fortune avec les gens du coin (une cabane en bois avec un toit en tôle, où l’on peut normalement y boire un thé).

Min, notre guide est parti aux nouvelles pour savoir s’il était envisageable que nous puissions redescendre le plus rapidement possible avec le premier camion, mais déjà les autorités locales étaient informées qu’un arbre était tombé à travers la route et empêchait tout camion de circuler. Ils étaient partis constater les dégâts, et reviendraient nous donner des nouvelles… Notre attente ne faisait que commencer et très vite le toit de notre cabane qui abritait de plus en plus de monde, menaçait à plusieurs reprises de s’effondrer… Nous avons cru que tout allait nous tomber sur la tête…
"A aucun moment je n’ai eu le courage de regarder
par les vitres du camion pour voir ce qu’il se passait dehors (...).
Le cauchemar a duré presque 8h00"
C’est alors que les autorités locales ont décidé de protéger tout le monde en nous mettant à l’abri dans la seule petite construction en dur de la plate-forme. Ce bâtiment servait de salle d’attente pour les chauffeurs des camions et était doté de toilettes. C’est donc dans ce petit endroit que l’enfer a commencé pour nous, le cyclone commençait à faire rage autour de nous, dévastant les arbres et toutes les habitations les uns après les autres, tout cela pendant 8 heures environ (de 7h00 à 15h00 Toutes les familles locales, les autres touristes (un groupe de thaïlandais),et nous, étions réfugiés dans ce petit local, tous assis sur nos talons, dans des positions inconfortables, tous trempés et terrifiés par la tempête qui sévissait autour de nous… Nous ne prononcions pas encore le nom de « cyclone ».

Pour compléter ce tableau déjà terrible, mes maux de ventre ont repris de plus belle. Heureusement les toilettes étaient à proximité… Voyant que j’allais me soulager tous les ¼ heures, un des conducteurs de camion m’a permis de m’allonger quelques heures dans sa cabine adossé à notre abri… A aucun moment je n’ai eu le courage de regarder par les vitres du camion pour voir ce qu’il se passait dehors, les bruits de tôle, la pluie et le vent me figeaient. La terreur qu’on pouvait apercevoir dans les yeux de tous et qui régnait autour de nous était épouvantable. Le cauchemar a duré presque 8h00.

Le cyclone venait de s’éloigner peu à peu, mais la pluie et le vent régnaient encore sur la montagne. Il fallait maintenant songer à quitter cet endroit, 2 possibilités s’offraient à nous : remonter à l’hôtel pour y passer une seconde nuit, au risque qu’il n’existe plus, ou descendre au village à pied (4 heures de marche par beau temps) et rejoindre notre chauffeur qui devait être inquiet pour nous, tout comme nous l’étions pour lui.

"La montagne descendait avec nous de tous les côtés, des éboulements de terrain sur tous les flancs… Un paysage d’apocalypse tournoyait autour de nous…"

Notre guide, Min, nous a plutôt conseillé de rejoindre le village à pied et après l’accord des autorités sur place, nous avons pris la route accompagnés d’un vieux birmans qui nous ouvrirait la voie… Nous étions assez angoissés à l’idée de faire une si longue marche après cette terrible épreuve que nous venions de traverser, mais il nous restait probablement suffisamment de courage pour entamer notre descente (38 collines) et ne pas rester dans cet enfer…. En fait de quelques arbres tombés, il n’y avait plus de route devant nous, mais un enchevêtrement d’arbres, de terre, de boue, de roches qui descendaient dans des torrents de pluie… La route a été longue et difficile, les flancs de la montagne étaient tous les uns plus dévastés que les autres, plus ou presque plus un arbre debout, les seuls rescapés étaient sans cimes. La montagne descendait avec nous de tous les côtés, des éboulements de terrain sur tous les flancs…. Un paysage d’apocalypse tournoyait autour de nous…
A plusieurs reprises, nous avons dû escalader des arbres tombés au sol pour poursuivre notre chemin qui a duré plus de 5 heures… La nuit était déjà tombée, camouflant pour quelques heures le désastre alentour.

Nous sommes parvenus au village où Min a retrouvé notre chauffeur, qui déjà lui annonçait 1 mort. Sans tarder, nous avons essayé de reprendre la route (après avoir fait un passage à notre mini-bus à coups de hache et de scie) à la recherche d’un hôtel où Min souhaitait que l’on passe la nuit, mais le désastre avait frappé partout, impossible de dormir dans cet hôtel probablement ravagé par le cyclone lui aussi. Nous avons donc roulé jusqu’à l’Hôtel - Restaurant dans lequel nous avions déjeuner la veille à midi, et là nous avons été accueillis et avons pu dormir dans des bungalow construits en dur, visiblement quelque peu épargnés par la tempête… Epuisés par cette effroyable journée et la longue marche, nos corps se sont endormis sans attendre….
"...déjà nous commencions à comprendre l’ampleur de la catastrophe qui venait de se produire…"
Le lendemain au réveil, meurtris de quelques courbatures, nous n’avons pu que constater le paysage autour de nous, le parc de l’hôtel était dévasté lui aussi… Mais notre surprise ne faisait que commencer puisque sans attendre, nous avons repris la route, et déjà nous commencions à comprendre l’ampleur de la catastrophe qui venait de se produire… Nous avons mis toute la journée du dimanche pour rentrer à Rangoon en faisant une halte à Bago. Tout autour de nous était différent, le paysage de notre trajet aller ne ressemblait en rien au terrifiant désastre qui s’offrait à nous au fur et à mesure de notre progression. Des villages entiers au bord des routes, étaient effondrés, plus un arbre ou un poteau électrique ne tenaient debout, et empêchaient souvent notre avancée. C’était un paysage apocalyptique partout autour de nous.
"Rangoon avait perdu toute sa splendeur (...), l’ampleur des dégâts ne semblait pas mesurable…"
En fin de journée, Rangoon nous a laissé entrer dans ses entrailles déchiquetées, le mot est faible, la ville ne ressemblait plus à rien. Pas un bâtiment neuf n’avait été épargné, les plus anciens avaient souvent perdus leurs toits voire leurs derniers étages. Toutes les routes lorsqu’elles étaient praticables n’étaient qu’un enchevêtrement d’arbres, de tôles et de toutes sortes de matériaux venus de n’importe où.
Rangoon avait perdu toute sa splendeur, dénudée de tous ces arbres, dépourvue de ses toits.


Notre hôtel, près du lac avait beaucoup souffert, le dernier étage était effondré à plusieurs endroits, le magnifique parc autour du lac dans lequel il est situé était ravagé… L’ampleur des dégâts ne semblait pas mesurable… Tous nos souvenirs de ce magnifique endroit dans lequel nous avions séjourné à plusieurs reprises s’effondraient devant ce sinistre spectacle et nous n’avons pas pu retenir nos larmes très longtemps.
Le neveu de Hervé est venu prendre immédiatement de nos nouvelles le dimanche soir après notre arrivée, il venait d’apprendre par notre chauffeur et notre guide rentrés à l’agence que nous étions en bonne santé.

La ville était bien évidemment dépourvue d’eau et d’électricité, l’aéroport fermé. Pendant les 3 jours suivants, nous avons erré dans la ville à ne faire que contempler les dégâts terribles, à mesurer l’importance du sinistre.

A aucun moment, nous n’avons entendu un birman se plaindre ou se morfondre, la population semblait résignée et tous se mettaient au travail pour sauver ce qui pouvait encore l’être, et pour reconstruire. Et la machine militaire n’a pas tardée à se mettre en marche elle non plus : en 2 jours les routes principales de la ville avaient au moins retrouvé une voie sur deux. Les arbres et tous les débris encombraient désormais les trottoirs de la ville.
"Des kilomètres et des kilomètres de files de voitures dans toute la ville..."
Mais bientôt, les routes étaient de nouveau encombrées et cette fois par les voitures qui telles des guirlandes sans fin, faisaient la queue pour de l’essence. Des kilomètres et des kilomètres de files de voitures dans toute la ville. Les gens dormaient dans leur voiture la nuit pour avoir une chance de ne pas perdre sa place dans la file d’attente le lendemain. Les birmans en temps normal sont déjà rationnés et n’ont droit qu’à quelques galons d’essence par semaine. Mais cette fois l’approvisionnement des stations ne pouvant pas se faire, la situation devenait critique.

Nous assistions également à des dizaines de files d’attente à tous les points d’eau de la ville. Les arbres en tombant et en se déracinant avaient arraché toutes les canalisations de la ville, l’eau potable se faisait très rare et inquiétait la population meurtrie mais résignée.








Nous sommes allés bien entendu dès le lundi-après midi à l’Ambassade de France, où nous avons pu appeler Paris grâce à un téléphone satellitaire pour rassurer un ami à qui nous avons demandé de prévenir nos familles respectives et nos amis. Nous ne savions pas que déjà en France la plupart de nos amis proches nous recherchaient et avaient alertés toutes les autorités pour avoir de nos nouvelles. Le mardi, nous sommes allés chez Hervé, accueillis par sa femme et un autre ami français, à qui nous avons racontés notre périple… encore sous le coup de l’émotion ! Le mercredi, nous avons laissé Rangoon dans un bien triste état pour rejoindre Bangkok en Thaïlande où des amis nous attendaient…
Le cauchemar avait désormais un nom, « NARGIS ».

"Nous ne réalisons qu’aujourd’hui que nous sommes des rescapés de Nargis, tant d’autres n’ont pas eu cette chance..."
Nous voudrions remercier en particulier Min, notre guide préféré, qui a su dans toutes les circonstances, garder son calme et prendre les bonnes décisions, malgré ses angoisses et ses inquiétudes légitimes pour sa famille à Rangoon et ailleurs.





Un grand merci à Milsang, notre chauffeur qui a dû bravé des chemins difficiles pour nous ramener à Rangoon tout en gardant lui aussi son sang-froid et sa bonne humeur. Nous ne réalisons qu’aujourd’hui que nous sommes des rescapés de Nargis, tant d’autres n’ont pas eu cette chance.

Difficile d’imaginer ces centaines de milliers de morts et de disparus, ces millions de gens sans abri et sans nourriture…

Nous allons maintenant essayer d’aider Hervé et tout le tissu associatif qui s’est mobilisé autour de lui pour donner un peu d’espoir à quelques-uns... Une goutte d’eau dans un océan probablement… mais Hervé, tu peux compter désormais sur nous…

Hervé, nous restons convaincu que le pays où tu t’es installé avec ta famille est le plus beau pays du monde, et il doit le rester… Nous reviendrons bientôt, sois-en sûr !!


Thierry et Alain

(c) Photos : droits réservés.